Malgré la crise sanitaire du Covid- 19, les marchés du vivrier d’Abidjan continuent d’être approvisionnés, par les sociétés coopératives animées par des femmes : Les Létagonin. Reportage sur les deux marchés Gouro d’Adjamé…
Les Létagonin, femmes garçons ou braves femmes en Gouro (ethnie du centre ouest de la Côte d’Ivoire), sont ces femmes- là qui approvisionnent les marchés en vivriers dans grandes agglomérations de la Côte d’Ivoire. Connus sous l’appellation de marchés gouro, on en trouve dans plusieurs communes du District d’Abidjan voire de l’intérieur du pays. A Adjamé, l’une des communes les plus populeuses de Côte d’Ivoire, durant la journée, l’on trouve les deux plus grands marchés Gouro. Entre couvre- feu et rumeurs de toutes sortes, ces deux marchés ne sont pas fermés. Même si la Nouvelle sociétés coopératives des commerçantes de vivriers,( Nouvelle Cocoprovi) a fermé son marché pour une désinfection et un nettoyage complet totale, du jeudi 26 mars au samedi suivant, les activités commerciales et les approvisionnements ont repris le mardi 31 avril 2020. Avec sa réouverture aux commerçantes et aux populations. Passé ce temps d’arrêt, les deux marchés Gouro d’Adjamé ont repris du service. Vendeuses, ménagères et petits voleurs à la tire comme d’ordinaire sont au rendez- vous. Même si ce n’est pas la grande affluence. Nous avons fait le constat le vendredi 04 avril 2020. Il est 9heures. Le soleil a repris irrémédiablement sa cours quotidienne vers l’ouest. Nous sommes à l’entrée du siège de la nouvelle Société Coopérative des commerçantes du vivrier (Nouvelle Cocoprovi), propriétaire du marché gouro sis au carrefour Banfora-Adjamé Saint Michel. Devant l’imposant bâtiment qui abrite le siège de cette société coopérative, il est installé un dispositif sanitaire : Un seau à robinet contenant de l’eau javellisée et des flacons de gel main hydro-alcoolisé. A tous les visiteurs, le vigile de service les enjoint de se laver les mains avant d’avoir accès au bureau de Madame Goley Lou Irie Yvonne, la Pca de la Nouvelle Cocoprovi( fondée par feu Zamblé Lou Madeleine). La ravissante Goley Lou Irié, qui nous reçoit a son masque bien fixé sur son visage et les gans sur les deux mains reçoit visiteurs et collaborateurs n’a vraiment pas le temps de nous recevoir.
Pas facile de faire respecter les mesures barrières
Entre deux coups de fil, pour s’assurer que les convois de vivres en provenance des zones de production de l’intérieur du pays, vont arriver à temps, elle nous explique les raisons de la fermeture du marché Gouro de Saint Michel. « Dans le souci de lutter contre la pandémie mondiale du Covid 19 qui sévit actuellement, les femmes du marché gouro d’Adjamé, Nouvelle Cocoprovi, (…) ont décidé de fermer du dimanche 29 et lundi 30 mars 2020. Qui ont été consacrés à la désinfection et la dératisation du marché par les services d’hygiène du district d’Abidjan ». Nous explique-t-elle avant de nous confier à M. Djah Alain, son assistant. Après une rapide balade sur le marché, nous serviteur nous indique bien que ce n’est pas l’affluence des grands jours. Après la réouverture, nous explique M. Djah, « un service minimum est observé. L’effectif des commerçantes a été réduit respectant la norme d’un mètre entre chaque étale comme le gouvernement nous le conseille. Parmi toutes ces commerçantes, nous en avons qui occupent deux voire trois places. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. On leur a dit que si vous avez deux places ou trois places par exemple et que vous venez avec nos enfants d’habitude, qu’ils restent à la maison. Chaque commerçante dispose d’une surface d’un mètre carré. La troisième mesure, est qu’ il faut éviter que les commerçantes se rapprochent les unes des autres pour causer. (…). Le nombre d’entrées a été réduit à 4 au lieu des 12 entrées habituelles et à chacune d’elle nous avons mis un kit de lavage de main avec du savon liquide, du gel hydro-alcoolique et des vigiles veillent au grain(…). Tous ceux qui entrent doivent se soumettre au lavage des mains(…) nous avons réduit tous les mouvements à l’essentiel surtout dans la main courante » Constat ; dans cet espace commerciale qui accueille plus de 2500 personnes par jour, les vieilles habitudes ont la peau dure. Devant leurs étals, nous tombons sur deux vendeuses en pleine causerie amicale oubliant même de respecter l’une des mesures barrières : celle de un mètre entre deux personnes. Très rapidement, elles sont rappelées à l’ordre.
Vers la flambée des prix sur les marchés aux vivriers.
Il est 11heures 30mn, nous mettons le cap sur l’autre marché Gouro d’Adjamé- Roxy. Qui est géré par la Société coopérative des marchés Gouro d’Abjamé,( Comagoa). En chemin, nous sommes frappés par forte présence des femmes. Assisses devant leurs étals, elles vaquent à leurs occupations comme d’habitude. Une forte odeur de piment frais nous frappe les narines. De l’autre côté, une semi-remorque chargée d’ignames est en train d’être déchargée par une bande joyeuse sans masques et autres moyens de protection. Le temps de fixer des images, nous profitons de l’occasion pour acheter un peu de citrons. Le Kg se négocie à 2000Fcfa quand le demi est à 1000Fcfa. C’est à prendre ou à laisser. Mais pourquoi le citron est tant prisé ces dernier temps ? Djeneba K. La trentaine environ, est demi-grossiste basée dans la commune d’Abobo. Elle s’active à faire le plein de son tricycle nous apprend : « Il parait que le Thé au citron aide à non seulement lutter contre le mal de gorge mais contre le Coronavirus. C’est ce qui se dit dans certains milieux chez nous à Abobo. C’est pourquoi le citron est se fait de plus en plus rare. Si le Kg se négocie à 2000 Fcfa, chez les détaillants du quartier la boule revient à 100Fcfa.Certains produits commencent à se faire rares et il nous faut faire face au charge des tricycles que nous louons ». Sans blague. Aussi, il nous a été donné de constater une hausse au niveau du prix du sac du riz , du Placally et du Kilogramme de la de bœuf( Voir encadré). Il est 12heures, le soleil est au zénith. Dans notre randonnée, sous sommes parfois happés par les vendeurs de masques en tout genre. Nous les esquivons tant bien que mal. Il y en a pour tous les prix.500Fcfa, 1000Fcfa. Un regard rapide ici et là, achève de convaincre que si les dessous des tables des vendeuses en grande partie des femmes Gouro, bété et malinké sont bien propres , apparemment nettoyés à l’eau, et les couloirs très fluide, ici aussi les mesures barrières notamment la distance de un mètre entre deux personnes n’est pas respectée comme il se doit. Mais pourquoi ? 12heures 30mn, nous sommes devant le siège de la Comagoa. Là aussi, avant d’y accéder, l’équipe de service pose sur notre visage le Thermo flash, 36° c’est bon. On nous verse du gel- main dans la paume droite avant de nous laisser entrer dans le bureau de M. Alexis Youan, Directeur général de la Comagoa. A la première question, il est formel quand il dit : «Nous n’avons pas attendu l’appel du gouvernement pour procéder à un nettoyage de notre marché occupé par plus de 2mille femmes en temps normal. Parlant du Covid 19, nous l’avons négligée au départ et ne savons pas que ça allait avoir une telle proportion. (…) C’est une leçon que dieu nous apprend. Nous avons commencé à placer le matériel de lavage des mains lien avant. En fonction de nos moyens, nous avons commencé à distribuer les gans, les masques à nos commerçantes et commerçants. Entre temps nous leur avons demandé de s’en procurer. C’est par la suite que cette affaire de 1mètre est venue. Au début, nous demandions à ceux qui venaient faire les achats de se laver les mains avec de l’eau javellisée et du savon liquide. Nous avons demandé même à nos membres de le faire. Nous n’avons pas fermé, mais nous avons demandé à nos femmes de procéder à un balayage lourd sous leurs tables. Nous avons également mis notre service d’entretien à contribution ». Comme indiqué plus haut, un détour sur ces deux marchés que nous avons visités, tout comme sur les marchés de quartier, l’on constate une flambée sur les prix à la consommation. L’approvisionnement est devenu difficile. Surtout que nous sommes dans le mois de mars et il n’y a pas de pluie. « Les denrées de premières nécessités se font rares parce que le sol est devenu dur. La banane, c’est tout au plus trois mois. Nous sommes dans une période exceptionnelle et des produits de grandes consommations sont devenus rares et très prisés ». Nous explique M. Djah. Qui ne manque pas d’ajouter que le contexte particulier lié au Covid 19 y est pour quelque chose. Mais comment se fait l’approvisionnement du marché ?« Nous mettons une plateforme à la disposition des femmes. Si vous prenez votre produit par exemple à Daloa, vous venez déposer. Les grossistes ou semi-grossistes viennent récupérer et ils s’en vont. Le jeudi 02 avril 2020, les deux camions qui sont arrivés venaient de Daloa. Sur l’axe Daloa Abidjan, ceux qui ont de la marchandise, s’appellent et à chaque étape, le camion prend la marchandise et ainsi de suite. Cela permet de partager les coûts de transports.(…) Une remorque qui part de Bouaflé à Abidjan, c’est 400 mille Fcfa. Avec la rigueur du couvre- feu, les véhicules mettent plus de temps, pour arriver sur nos plateformes. Ce qui visiblement a un coût .Sans oublié les avaries que doivent supporter les pauvres dames. Qui pourraient le répercuter sur le prix à la consommation finale ». Cet avis est partagé par M. Alexis Youan, Directeur général de la Société Coopérative des marchés gouro d’Adjamé. En nous recevant au siège de sa coopérative il précise : « Effectivement, étant donné que des marchés ont été fermés notamment à Yopougon, nous observons une certaine tension sur les prix à la consommation. Pour le moment le produit se fait rare en partie à cause de la saison sèche. Le vivrier ne viennent plus assez. Les chargements qui viennent de l’intérieur du pays, sont bloqués en route ou ne peuvent plus rentrer ici facilement. En outre, compte tenu de la situation, les gens ne travaillent plus assez. Le peu de vivrier qui se trouvent en brousse, ils ont des difficultés pour aller le chercher. Ici sur notre marché, normalement nos camions arrivent toujours 24heures/24. Compte tenu du couvre-feu, il n’ y a plus assez de livraisons. Les camions que nous utilisons d’ordinaire, peuvent démarrer à 18heures pour arriver ici à 24 heures. Même les poids lourds qui partent de Divo et Ndouci peuvent se mettre en route à 18heures, pour pointer ici à 22heures ». En guise de souhait, la plupart des acteurs de la chaine d’approvisionnement interrogés souhaitent que « le gouvernement ouvre un couloir humanitaire pour les véhicules qui transportent les vivriers. Avec un macaron précis comme au temps de la crise militaro-politique. Cela permettrait d’approvisionner régulièrement nos marchés. Plus ça devient cher, la population ne peuvent s’approvisionner comme il se doit. Des pères de familles étant au chômage». Malgré cette situation, les marchés de proximité continuent d’être approvisionnés. « Ce n’est pas facile. C’est ici que des femmes grossistes et demi- grossistes qui sont de véritables lèves-tôt, viennent s’approvisionner pour aller ravitailler les marchés de quartiers et des villes de la périphérie Abidjanaise(…)». Nous rapporte notre interlocuteur ; M. Djah du marché Gouro d’Adjamé- Saint Michel. En ce qui concerne le soutien annoncé par le gouvernement ivoirien au secteur du vivrier le Dg de la Comagoa préconise : «Que les 50 milliards de Fcfa annoncés par le gouvernement partent aux coopératives et marchés bénéficiaires qui doivent être recensées. Que l’Office d’aide à la commercialisation des vivriers( Ocpv) via le ministère du commerce soit responsabilisée. Car cette structure sert de pont entre les producteurs et les coopératives. L’Ocpv connait bien les producteurs et les coopératives»
Bamba Mafoumgbé,Cette adresse courriel est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Légende photo : Une vue des femmes sur l’un des marchés Gouro d’Adjamé. Difficile de respecter les mesures barrières. ( In Le Temps du 8 avril 2020)
Encadré : Banane, aubergines, manioc… les prix grimpent
Au marché Gouro d’Adjamé- Roxy, le Kg de viande de bœuf se négociait au moment de notre passage à 2500 Fcfa contre environ 2200Fcfa par le passé. En ce qui concerne le sac de pâte de manioc qui est produit à Bonoua, et servant à faire le placally qui se négociait à 15 mille Fcfa n’a certes pas changé. Mais la quantité a fortement diminué. Selon Dame Kouzia vendeuse de riz locale qui s’approvisionne à Tiassalé, « le sac de 50 Kg de riz local se négocie pour l’instant à 30 mille Fcfa. Nous sommes obligées de vendre à ce prix puisqu’à cause de Coronavirus, les populations n’ont pas d’argent. Aussi, le transport commence à grimper. Si dans les prochains jours, le prix augmente chez nos fournisseurs de Tiassalé, nous serons obligés de suivre la tendance ». Qu’en est –il du sac prix du sac d’aubergine ? « Le sac d’aubergine, qui était à 3000Fcfa, se négocie désormais entre 15 mille voire même à 20mille Fcfa. C’est de ce commerce que nous vivons. Ça ne marche pas trop mais il faut gagner un peu pour nourrir nos familles et approvisionner la population… La situation est devenue plus avec la crise sanitaire du Covid-19 ». En ce qui concerne le coût du transport, le prix de la location d’une remorque sur la distance de Bouaflé à Abidjan c’est 400 mille Fcfa.
B. Mafoumgbé
Légende photo : Les prix commencent à flamber les marchés…
Ces braves femmes appelées Letagonin…De Madame Zamblé Lou, fondatrice de la Cocoprovi, en passant par feu Madame Boty Lou Rosalie, ex- Pca de Cocovico, à Madame Irié Lou Collette, la Président de la Fédération nationale des sociétés coopératives du vivrier de Côte d’Ivoire,( Fenacoovici), pour ne citer que celles-là, sont de femmes battantes dont les noms riment avec l’existence des marchés Gouro en Côte d’Ivoire dont les origines remontent aux années 1970. Ben structurés ces marchés sont dédiés essentiellement à l’approvisionnement du grand Abidjan en bananes plantains, gombo, piment et aubergines, sont adossés à des sociétés coopératives animées par des braves femmes. On les appelle les Letagonin. Qui signifie en Gouro, ‘femmes garçons’ ou ‘braves femmes’. Au sein de la Fenacoovici, par exemple dont la présidente du Conseil d’administration est Irie lou Collette, qui compte 1800 membres dont 85% de femmes. Pas seulement des femmes Gouro ou Gagou mais aussi des femmes Senoufo, Malinké( voir encadré 2). Qui de jour et de nuis et malgré les crises militaro-politiques qui ont secouées la Côte d’Ivoire, elles ont mis tout en œuvre pour approvisionner nos marchés. En Côte d’Ivoire, il n’y a pas eu de largage de vivres. La Côte d’Ivoire était en crise, mais ce n’était pas une crise alimentaire. Ce qui a fait dire à Marie Noëlle Koyara, ex- ministre d’Etat ministre du Développement rural de la République centrafricaine( Rca) et ex- représentante résidente de l’Organisation mondiale pour l’alimentation,( Fao) en Côte d’Ivoire, que : «En Côte d’Ivoire, il n’y a pas eu de largage de vivres. Pendant tout le temps que votre pays était en crise, il y avait à manger sur le marché. Quand bien même que je sois de la Fao, je me suis beaucoup inspirée du cas pratiques de la crise ivoirienne. Cela m’a beaucoup aidé(…) ».
Bamba Mafoumgbé