Le professeur Ousmane Zina est le chef du département des Sciences politiques de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké. Très au fait de la problématique de la gouvernance des frontières, il est président du comité scientifique, d’Abidjan border forum,(Abf).Dans cette interview, il jette un regard critique sur la gouvernance des frontières en Afrique et revient sur des recommandations des travaux d’Abidjan.
« Frontières vertes : entre ressources naturelles partagées et défis de sécurité » Pourquoi avoir choisi ce thème principal pour Abidjan Border Forum 2024 ?
D’abord, la première chose, c’est la prise de conscience de tous les acteurs qu’il y a lieu de saisir avec sérieux, engagement et détermination, la problématique des frontières. Deuxièmement, l’on se rend compte que les frontières révèlent plusieurs situations qu’ils soient d’ordre politique, économique, géopolitique, structurelle et sociale qui permettent en réalité de lire l’Etat au quotidien. Troisièmement, on voit à travers cette question des frontières vertes, toute l’importance, de la question de la protection de l’environnement et des ressources partagées entre différents pays. Les réflexions par exemple sur l’eau sont très importantes. L’eau est une ressource vitale tant pour les populations que pour l’Etat. Parce que ces cours d’eaux sont des ressources en eau.
Des panelistes ont estimé qu’on ne devrait pas parler de frontières. On devrait les reconnaitre avec les lignes de démarcation et met ça de côté ?
C’est une vision panafricaine. Aucun Etat ne saurait exister sans les frontières, parce que l’Etat lui-même est né de frontière qui signifie ligne de front. L’Etat, ce sont trois éléments : le territoire, la population et le pouvoir central. Le territoire est délimité par les frontières et donc s’il n’y a pas de frontière, il n’y a pas d’Etat mais la logique la panafricaine voudrait que les frontières ne soient pas des murs, des barrières entre les peuples qui se connaissent par l’histoire et la géographie. La logique voudrait donc que les frontières soient des passerelles et des espaces d’intégration, de collaboration et de cohésion sociale. Donc la vision panafricaine est une vision d’ouverture des frontières.
C’est quoi « la zone des trois frontières » qui serait une zone de trafic en tout genre ?
Cette appellation est liée à un espace partagé entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui est un peu située dans la région du Liptako- Gourma. Effectivement dans cette région, l’on retrouve les trois frontières de ces trois pays qui partagent en même temps des points communs et l’on y retrouve aujourd’hui, la circulation des bandes armées. Malheureusement, lorsqu’on parle des « trois frontières », l’on fait allusion toute de suite de la circulation transfrontalière des bandes armées. Cet espace est en réalité une zone d’intégration parce qu’on y retrouve les mêmes peuples et une circulation en économie, vous retrouver une connexion historique entre les trois pays cités plus haut.
Il y a certainement des ressources naturelles qui aiguisent des appétits ?
L’Afrique n’est pas pauvre en ressources naturelles. Elles existent mais en même temps, il y a une rareté de d’autres ressources qui soient vitales pour les populations dont l’eau par exemple. Dans cette zone, il y a la sècheresse et la désertification est très poussée Sans oublier certains aliments de base que l’on ne trouve pas forcement du fait de la sècheresse. En en termes de minerais, le sous -sol est riche.
Une zone d’oubliés par les Etats centraux ?
Oui. Des zones comme celle des « trois frontières, sont très très éloignées du pouvoir central. Elles sont considérées comme oubliées. Pour tout dire, les zones transfrontalières pour la plupart sont oubliées. Ce qui crées dans ces lieux, des frustrations économiques, politiques et sociales. Lesquelles frustrations aiguisent des intentions séparatistes et in fine l’engagement terroriste des populations qui s’estiment abandonnées par l’Etat.
Que faut -il faire ?
Pour ma part, la réponse est toute simple : L’Etat doit prendre toute sa place aux frontières. L’Etat doit être présent à la fois au centre mais également dans les périphéries. On pense l’Etat par les capitales et les villes secondaires en développement, mais on oublie qu’il doit être présent également aux frontières qui constituent le début de l’Etat. L’Etat doit être présent à travers des actions fortes sur le développement humain, l’éducation et la santé.Sans oublier les infrastructures, la lutte contre le chômage des jeunes d’une part, et la cohésion sociale à travers le programme COSO.
Les travaux d’Abidjan Border forum2024 ont été sanctionnés par des recommandations fortes : pouvez-vous revenir sur certaines d’entre elles ?
Dans les recommandations, à l’endroit de l’Union africaine, les participants ont demandé d’inscrire le principe de la gestion partagée des ressources naturelles partagées aux frontières comme un des piliers essentiels de la coopération transfrontalière, de renforcer la coordination entre l’UA, les organisations sous-régionales et les États membres, notamment en matière de gestion des ressources partagées aux frontières. Également, ils ont exhorté tous les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à ratifier la Convention de l’Union africaine sur la coopération transfrontalière, dite Convention de Niamey d’une part, et l’encouragement des ambassadeurs des États membres accrédités auprès de l’UA à porter le plaidoyer pour la ratification de la Convention de Niamey d’autre part.
Le processus de démarcation et de réaffirmation des frontières n’a pas été oublié ?
Les participants encouragent les États membres à mobiliser les ressources propres pour accélérer les processus de démarcation et la réaffirmation de leurs frontières communes.Plus concrètement , ils ont proposé de prolonger la date butoir de 2027 relative à la délimitation et démarcation des frontières africaines. Ils ont demandé de doter le Programme frontière de l’Union Africaine des moyens nécessaires afin de lui permettre de contribuer pleinement à l’atteinte des objectifs de l’Agenda 2063.
Et les organisations sous-régionales dans tout ça ?
A l’endroit des organisations sous régionales qui ont affiché complet aux travaux d’Abidjan, Il a été demandé d’intensifier les soutiens aux activités de coopération transfrontalière entre Etats membres, afin d’en faire un véritable instrument de sécurité, de renforcement de la paix, de gestion des ressources naturelles partagées et d’intégration sous-régionale. En claire, apporter un soutien plus accru à la mise en œuvre des programmes de délimitation, démarcation et réaffirmation des frontières des Etats de l’Union Africaine. Également, ils estiment qu’il faut changer de paradigme dans le traitement des conflits en les abordant dans une approche systémique et positionner les structures en charge de la gestion des frontières au cœur de la mise en œuvre des projets frontaliers et de coopération transfrontalière.
Les Partenaires techniques et financiers, c’est-à-dire ceux qui tiennent le cordon de la bourse n’ont pas été oubliés ?
Les engagements des partenaires techniques financiers(Ptf), ont été salués par les différents intervenants. Non sans leur demander d’inscrire les projets concernant la gestion de ressources naturelles partagées aux frontières au nombre de leurs appuis prioritaires. Par ailleurs, pour plus d’efficacité, le forum préconise le respect du principe de la subsidiarité dans la mise en œuvre des projets aux frontières. Ils n’ont pas oublié le renforcement de la collaboration avec les structures en charge de la gestion des frontières, dans la mise en œuvre des projets frontaliers de la coopération transfrontalière, d’accroitre les ressources disponibles pour les projets frontaliers et transfrontaliers.
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Légende photo : Professeur Ousmane Zina, ( au micro à gauche) président du Comité scientifique de l’ABF : « Les participants encouragent les États membres à mobiliser les ressources propres »