Sa position sur ce litige foncier. Ce qu’il recommande désormais pour acquérir un terrain Depuis l’indépendance de la Côte d’Ivoire un problème majeur, notamment celui du foncier subsiste avec son corollaire de conflit. Le gouvernement dans sa volonté de mettre fin à ce désordre, vient de reformer le secteur du foncier avec l’Attestation de Droit d’usage (Adu) pour sécuriser les transactions foncières afin d'éviter les doubles, voire triples attributions sur les parcelles.
Malheureusement, le lourd passif de litige foncier antérieur à l'entrée en vigueur de l'ADU le 1er janvier 2025, continue de faire des vagues au grand désarroi des populations. Au détour d'un entretien avec le Ministre Bruno Nabagné KONÉ qui a bien voulu nous accorder en exclusivité son commentaire face à ce litige foncier qui cristallise depuis quelques jours l'actualité en Côte d’Ivoire, le premier responsable du foncier revient sur cette affaire appelée « conflit foncier à Bessikoi » qui défraie la chronique.
Monsieur le ministre, vos services ont certes reçu les différentes parties. Mais un dicton populaire dit que l'eau qui sort de la bouche du poisson est la plus fraîche. En tant que premier responsable de ce département, qu'est-ce qu'il en est exactement, et quelle suite donnez-vous à cette affaire ?
En réalité, il n'y a pas de problème nouveau. Des personnes se sont exprimées sur les réseaux sociaux sur ce sujet ancien qui relève de nos missions, et cela a suscité de l’émotion. Ce n'est malheureusement pas la première fois que cela se produit. Ces problèmes de gestion du foncier dans cette zone de Djorogobité sont connus de longue date, et nous faisons de notre mieux pour y remédier aux plans technique et juridique. La forte médiatisation de ce litige a néanmoins l’avantage de mettre la lumière sur la complexité et sur la sensibilité de la question foncière ainsi que sur certaines pratiques qui ont cours dans le secteur, et qui compliquent fortement notre tâche. Sans vouloir renforcer le sentiment d'inquiétude, je tiens à dire que nous n'en avons pas fini avec les litiges dans cette zone que nous surveillons de très près. Plus généralement, nous avons hérité d’un passé lourd d’anomalies, de fautes, de décisions contradictoires, etc., principalement liées à la gestion manuelle qui a longtemps prévalu. Nous allégeons au fur et à mesure le poids de ce passé mais malgré l’important travail abattu, nous nous attendons à la résurgence d’autres conflits par ci et par là, qui pourraient donner la vilaine impression que les choses n’avancent pas.
Pour quelques raisons principalement ?
La première raison, qui est d'ordre général, concerne pratiquement tout le pays, particulièrement les grandes villes et le grand Abidjan. Il s'agit des multiples attributions sur une même parcelle. Ce phénomène, que nous déplorons, que nous combattons de toutes nos forces, est à la base d’une grande partie des litiges fonciers recensés. Il est lié à la faible sécurité de l’Attestation villageoise, qui est le premier document dont se sert l’acquéreur d’une parcelle pour solliciter un acte de propriété. Chaque village a son modèle, son texte, ses modalités de signature, etc. Chaque village imprime ses attestations, qui sont remises aux acquéreurs contre rétribution. Des faussaires et peut-être aussi des personnes qui disposent de pouvoirs d’attribution des parcelles, ont compris les faiblesses du système et en ont profité, au détriment de nombreux acquéreurs de bonne foi. C’est d’ailleurs ce qui nous a conduits à la décision de mettre en place depuis janvier 2025, une réponse solide, avec l'introduction de l’Attestation de Droit d’usage coutumier (Adu), en remplacement de l’attestation villageoise. Nous nous efforçons de résoudre ce problème au plan général, mais notons qu’il est particulièrement exacerbé dans cette zone, peut-être aussi en raison de son histoire foncière. Cette histoire, c’est que Djorogobité était à l'origine un campement d'Abobo Baoulé. En 2005, des lotissements dont celui dit « Bessikoi », ont été approuvés et réalisés dans cette zone, qui faisait alors partie d'Abobo Baoulé. Suite à des dissensions, le village de Djorogobité a demandé son indépendance et a obtenu, par voie judiciaire, son détachement d'Abobo Baoulé en 2015. Cependant, entre 2005 et 2015, de nombreuses transactions foncières avaient déjà eu lieu là-bas. Nous notons que les guides de répartition des lots, qui retraçaient l’historique des transactions foncières ont été ignorés ou carrément trafiqués par les personnes qui en avaient la charge, ce qui a conduit à des cessions multiples sur un grand nombre de parcelles. L’administration en charge du foncier s’est, quant à elle, tenue aux informations à sa disposition, ce qui crée forcément des mécontentements, surtout chez les acquéreurs de bonne foi. Cette situation illustre bien la complexité de la gestion foncière dans notre pays. La délivrance de l'attestation villageoise, document central, n'est pas contrôlée par l'État. Les institutions que nous représentons, responsables de la gestion foncière, n'interviennent pas à ce stade initial. C'est la communauté villageoise qui produit et signe l'attestation, la vend à qui elle veut, perçoit le paiement correspondant. Ce n'est qu'après la cession conclue avec la communauté villageoise ou les détenteurs de droit coutumiers, que l'acquéreur se présente aux guichets du ministère de la Construction, avec l’attestation reçue de ces derniers. Et c’est seulement à ce moment-là, qu'il est informé de l'état domanial réel de la parcelle convoitée. Et dans certains cas, cette parcelle a déjà fait l’objet d’attribution à quelqu’un d’autre, souvent plusieurs années avant. C'est pourquoi, nous avons entièrement repensé cette procédure avec l’institution de l'ADU, pour impliquer l'État plus en amont. Cela permettra d'assurer un suivi plus efficace, sans retirer de prérogatives aux chefs de village, qui pourront céder à qui ils veulent et à leurs conditions.
L’objectif avec l’ADU, est d’éviter toute possibilité de créer plus d’une Attestation sur une même parcelle, d’éviter tout risque d’attribution multiple.
Qui a vendu et qui n'a pas vendu ?
Comme je l'ai mentionné, nous sommes très prudents sur cette question, pour ne pas en rajouter à l’émotion. Nous pourrions inonder la presse avec les documents en notre possession, avec les preuves de ventes et reventes de parcelles par certaines chefferies, mais nous ne le faisons pas par respect pour ces dernières, qui sont des auxiliaires de l’Etat, dans la gestion foncière en particulier. D’ailleurs, la plupart de ces conflits et litiges remontent bien avant mon arrivée à ce poste, mais l’administration étant une continuité, nous y consacrons le temps et les efforts nécessaires. Aujourd’hui encore, au moins un tiers de mon temps et de celui de mes collaborateurs est occupé à régler les problèmes du passé, à traiter l’héritage de la gestion chaotique du foncier que notre pays a connu à certains moments de son histoire. Quand les problèmes sont réglés, bien sûr, personne n’en parle…Monsieur le ministre, dans l'affaire de Bessikoi, dans un communiqué produit par vos services, vous ramenez quasiment les deux parties dos à dos...Notre administration assume ses actes. Nous affirmons en effet dans ce cas précis, que nos procédures ont été entièrement respectées, de même que les décisions judiciaires qui s'imposaient à nous. C'est donc en toute légitimité et légalité que des actes ont été signés et délivrés. Cependant, au vu de la polémique sur les réseaux sociaux, nous avons demandé à chacune des parties de mettre à notre disposition toute la documentation en sa possession, que nous avons analysée minutieusement, en lien avec nos propres archives. Nous avons notre propre compréhension de la situation mais préférons recommander la voie judiciaire à la partie qui ne serait pas satisfaite de la décision administrative prise, pour un règlement indépendant et définitif de ce différend. Ce litige médiatisé nous permet de communiquer sur la nécessité d’impliquer les structures étatiques, en particulier le ministère en charge du foncier, dès le début du processus de cession d’une parcelle, afin d'éviter qu'une même parcelle ne fasse l’objet de cessions multiples et qu’à la fin du processus, un seul acquéreur soit le propriétaire de la parcelle. Nous ne faisons pas un choix entre les candidats, nous ne faisons qu’appliquer strictement les procédures en la matière. Mais, je le répète, une parcelle ne devrait faire l'objet que d'une seule vente. Si nous parvenons à comprendre et à faire appliquer cela en Côte d'Ivoire, nous pourrions réduire le nombre de litiges d’au-moins 50 % et il y aura moins de grincements de dents. Vous savez, pour certaines attributions faites d’un ACD, nous avons entre 3 et 5 personnes mécontentes, qui convoitaient la même parcelle ou plus grave, qui ont déjà payé de l’argent aux communautés villageoises ou aux détenteurs de droit coutumiers. C’est normal qu’elles laissent éclater leur colère, mais le fautif ici, n’est pas le Ministère, qui est traité de tous les noms d’oiseaux. Le fautif, c’est celui ou ceux qui lui ont vendu la parcelle et qui ont fait de même avec d’autres personnes. Ceux-là devraient au minimum être poursuivis pour le remboursement des sommes qu’ils ont indument perçues.
Au-delà de l’ADU, quelles sont les autres réformes conduites par votre ministère pour sécuriser la gestion foncière dans notre pays ?
Nous avons toujours été très préoccupés par le grand nombre de litiges, les complaintes de nos concitoyens, les faiblesses de façon générale, du titre de propriété qu’est l’ACD, etc. et avons donc longuement réfléchi et travaillé pour améliorer la situation. Je peux assurer que nous avons beaucoup évolué au cours des dernières années. Nous avons sensiblement amélioré et sécurisé les procédures de la chaine foncière à travers une batterie de réformes. On peut mentionner l'instauration de l'identifiant unique du foncier en Côte d'Ivoire (IDUFCI), qui permet d’affecter un numéro d’identifiant unique à toutes les parcelles foncières en Côte d’Ivoire. Cet identifiant est partagé par tous les acteurs qui agissent sur la matière foncière (ministère de l’Agriculture, Eaux et forêts, Environnement, Administration civile, etc.). Nous avons instauré un référentiel géodésique unique, qui permet à tous les acteurs de terrain, aux géomètres en particulier, d’utiliser des instruments et des méthodes de mesures identiques. Nous avons engagé un vaste projet de délimitation des territoires des 193 villages du grand Abidjan. Les mesures que je viens de citer permettent déjà d’éviter les chevauchements et certaines attributions multiples de parcelles et les conséquences qui en découlaient, dont de nombreux litiges fonciers entre communautés voisines. Je mentionnerai également les modifications apportées aux processus d'élaboration, d'approbation et d'application des plans de lotissement, qui vont permettre d’avoir une occupation plus rationnelle de l’espace urbain et de disposer d’un cadre de vie plus harmonieux, plus agréable et plus efficient. Nous avons introduit le titrement massif, qui permet l'immatriculation des parcelles, dès l’approbation d’un lotissement, ce qui permet par exemple, de se passer de l’étape du bornage contradictoire, qui est jusqu’à maintenant très chronophage. Avec le SIGFU (Système Intégré de Gestion du Foncier Urbain) nous avons numérisé toute la gestion foncière, des archives jusqu’à la signature électronique de l’ACD, ce qui contribue fortement à la sécurisation des actes délivrés. L'ADU, dont j’ai parlé plus haut, constitue le dernier maillon de cette chaîne de sécurisation foncière. Enfin au niveau des ressources humaines, nous avons là aussi pris des mesures fortes ; J’en suis aujourd’hui, en 6 ans, à mon 4ème Directeur de Cabinet, et aucune de ces personnes n’était un proche avant que je n’accède à cette fonction. Au niveau de la chaine foncière, nous avons remplacé en 2020 le Directeur du Domaine Urbain par un cadre venant du Cadastre, le Directeur de l’Urbanisme a été remplacé en 2020 par un cadre venant du BNETD, le Directeur de la Topographie et de la Cartographie a lui aussi été remplacé, et en dessous d’eux, de nombreux changements ont été opérés. J’ai créé un poste de Conseiller chargé des Opérations, de la Qualité et de la Performance, pour mieux répondre aux attentes des usagers de nos services, etc. Au surplus, la numérisation permet de réduire l’intervention humaine et avec la traçabilité qu’elle permet, d’avoir un meilleur contrôle sur les tâches effectuées et les travaux réalisés. L'objectif ultime de toutes ces réformes est d'accroître la production de l'ACD, de faciliter les démarches pour les demandeurs, et surtout de délivrer des actes totalement sûrs. Cela ramènera la sérénité chez nos concitoyens, renforcera la force économique de l’ACD à travers notamment le crédit hypothécaire, facilitera l’investissement dans le domaine immobilier, etc. Ce que beaucoup ignorent sans doute, c’est que des investissements importants sont bloqués ou retardés à cause des problèmes fonciers. Des investisseurs sont malheureusement confrontés à d’innombrables obstacles liés à la gestion foncière. Même les projets de logements sociaux souffrent de l'insécurité foncière. Des promoteurs se heurtent quotidiennement à des conflits fonciers interminables, à des interruptions de chantiers liées à des contestations locales, etc. Nous devons tous prendre conscience de la gravité de la situation et encourager les réformes menées, qui vont permettre au foncier et à l’immobilier de jouer toute leur part dans la marche en avant de notre pays.
Vous avez prolongé l'Adu pour trois mois, notamment en mars et c’est pour bientôt. Qu'est-ce qui va se passer après cette date ?
L'ADU est bel et bien en vigueur depuis le 1er janvier 2025 pour tous les nouveaux lotissements en Côte d'Ivoire. Sa mise en œuvre n'a donc nullement été prorogée. Tout nouveau lotissement à approuver depuis cette date doit suivre la procédure issue d'un décret de 2021 qui a réformé l'approbation des lotissements en Côte d'Ivoire (NDLR ; le décret n°2021-784 du 08 décembre 2021).Nous travaillons à la sécurisation des actes du foncier depuis 2021 et je peux assurer que le processus qui a mené à la mise en place de l’ADU a été longuement et murement réfléchi. Un projet pilote, qui a duré un an et demi, a été conduit dans un lotissement de Songon, nommé Adiapoto 1. Ce projet s'est bien déroulé et toutes les parties concernées ont eu à donner leurs avis et leurs inputs, qui ont permis de finaliser cette réforme avant la décision de sa généralisation. Nous en tant que citoyens, nous payons un lourd tribut des agissements des acteurs du foncier urbain.
Le gouvernement ne doit-il pas être plus ferme ?
C’est dans ce sens que nous allons, sans revenir sur les évolutions consenties par le gouvernement au cours des dernières années. C'est ce qui se passe avec l'ADU, qui améliorera très fortement la situation, sans revenir à la Lettre d’Attribution, qui avait cours avant juillet 2013. Ici, je l’ai déjà dit, nous ne retirons aucune prérogative aux chefs, qui sont les seuls acteurs dont la signature reste obligatoire sur l'ADU. Nous entendons quelques critiques en fond sonore, mais continuons d’attendre que des arguments convaincants et solides nous soient donnés pour expliquer ou justifier la non mise en œuvre immédiate de l’ADU. Nous avons rencontré à plusieurs reprises les chefferies qui montraient au début des réticentes face à l’ADU et je peux assurer que nous nous sommes rapidement compris. Les doléances de ces chefferies, en réalité, sont au niveau du lien entre l’Etat, les communautés autochtones et les terres sur lesquelles ces dernières ont aujourd’hui un droit d’usage. Ce niveau de lecture relève de la Constitution de notre pays et n’a rien n’a voir avec la sécurisation des actes liés à la gestion foncière urbaine. En réalité, pour celui qui est de bonne foi, il n’y a pas d’argument pour contester le fait que l’Etat et les ivoiriens dans leur très grande majorité, demandent qu’une parcelle de terrain ne fasse pas l’objet de plus d’une attribution. C’est la seule vocation de l’ADU.
Pour terminer avez un appel à lancer ?
Je voudrais remercier nos concitoyens pour la grande patience dont ils font montre face aux nombreuses difficultés dans la gestion urbaine et plus particulièrement dans la gestion du foncier. La situation était grave, mais elle s’améliore tous les jours. En 2024, 34.700 ACD ont été délivrés sur l’ensemble du territoire. Je pense que seulement quelques dizaines de cas pourront éventuellement faire l’objet de contestation ou de décision judiciaire contraire. Ces quelques cas, souvent fortement médiatisés ne doivent pas remettre en cause le travail immense abattu quotidiennement par l’ensemble des acteurs de la chaine foncière. Notre ambition est de remettre de l’ordre dans ce secteur, de rendre banale une acquisition foncière ou immobilière, faciliter l’investissement dans ces secteurs importants pour le développement économique de notre pays. Les faits d’actualité que nous avons évoqués au début de cet entretien démontrent qu’il nous faut, au plan de la gestion foncière dans notre pays, définitivement tourner les pages des incertitudes, des peurs et des pleurs, des faussaires, des multiples attributions, de l’encombrement de nos tribunaux, etc. Pour cela, il nous faut appliquer sans complaisance les réformes engagées par le gouvernement et le Ministère en charge de la construction. J’en profite pour rappeler quelques conseils utiles pour nos populations ; -évitons de faire une acquisition foncière dans un lotissement non approuvé ; -évitons désormais toute acquisition avec une attestation villageoise, avant d’avoir obtenu au préalable un état domanial de la parcelle auprès des services du Ministère de la Construction. Cette demande, qui ne coûte que 5000 francs peut vous éviter de perdre des millions de francs et de vous embourber dans des litiges ; -pour tous les lotissements approuvés après le 1er janvier 2025, exigeons une ADU pour l’acquisition d’une parcelle ; -pour ceux ayant déjà acquis des parcelles villageoises dans des lotissements non approuvés, nous les invitons à se faire recenser auprès de nos services et à engager, avec les chefferies, les lotisseurs concernés ou en groupes d’intérêt, une procédure de régularisation du lotissement. Nos services se tiennent à leur disposition pour cela ; -enfin, pour ce qui est des lotissements en sursis ou en litige, nous demandons aux acquéreurs d’attendre la levée du sursis ou la résolution définitive du litige pour engager leur demande d’acte de propriété, qui suivra la procédure de l’ADU. Merci à vous pour cette lucarne que vous nous avez offerte.
Source : DIRCOM MCLU
Légende photo : Koné Bruno Nabagné, ministre de la Construction du logement et de l’urbanisme : « Nous devons tous prendre conscience de la gravité de la situation(…) »
Affaire Bessikoi, sécurisation foncière, ADU, accusations contre le Mclu - Bruno Koné sans détour : « Nous n'en avons pas fini avec les litiges dans cette zone que nous surveillons de très près »
Publié le 20 février 2025
