« L’histoire des relations entre la France et ses anciennes colonies est un fleuve tumultueux où se mêlent courants de coopération et tourbillons de tensions. Aujourd’hui, face aux mutations géopolitiques et à l’émergence de nouveaux pôles d’influence, ces relations doivent être repensées pour s’inscrire dans un véritable partenariat équilibré. »
Introduction : Une Histoire Partagée, Une Relation Contestée
Depuis les indépendances des années 1960, la France a conservé des liens privilégiés avec ses anciennes colonies africaines. Ces relations, marquées par des accords de coopération et une forte empreinte culturelle, ont oscillé entre aides substantielles, dépendances économiques et tensions politiques croissantes. La montée des contestations, notamment dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – Mali, Burkina Faso, Niger – pose aujourd’hui la question d’un renouveau des relations franco-africaines.
Quels ont été les acquis et les écueils de cette coopération ? Quelles alternatives s’offrent aux États francophones face à la réorganisation géopolitique du continent ? Quelles solutions pour une relation équilibrée et mutuellement bénéfique ?
I. Lumières des Relations : Une Coopération Plurielle et Structurée
1.1. Soutien Économique et Financier : Entre Opportunités et Dépendance
Depuis 1960, la France a accompagné le développement de ses partenaires africains à travers l’aide publique au développement (APD), la présence de grandes entreprises françaises (Total, Bolloré, Orange) et le soutien aux institutions monétaires, notamment la zone CFA.
En 2022, la France a octroyé plus de 10 milliards d’euros d’APD aux pays francophones d’Afrique, faisant d’elle le premier bailleur bilatéral de la région.
La Banque Mondiale et le FMI, sous forte influence française, ont également structuré les politiques économiques de nombreux États via les programmes d’ajustement structurel (PAS) dès les années 1980.
1.2. Coopération Éducative et Culturelle : Un Pilier Durable
La promotion du français via l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) renforce l’influence culturelle de la France en Afrique.
Des partenariats académiques avec des institutions comme Campus France facilitent l’accès des étudiants africains aux universités françaises, bien que la politique migratoire stricte limite aujourd’hui ces opportunités.
1.3. Sécurité et Défense : Une Présence Contestée
La France a historiquement joué le rôle de garant de la sécurité régionale, avec des interventions militaires marquantes :
Opération Serval (2013) et Barkhane (2014) contre le terrorisme au Sahel.
Accords de défense avec plusieurs États, permettant une présence militaire permanente (Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon).
Pourtant, cette présence militaire est aujourd’hui fortement critiquée par des populations et gouvernements dénonçant un néocolonialisme déguisé.
II. Zones d’Ombre : Critiques et Contestations Croissantes
2.1. Dépendance Économique et Franc CFA : Une Emprise Persistante ?
Le Franc CFA, arrimé à l’euro et garanti par le Trésor français, est perçu comme un outil de contrôle monétaire limitant la souveraineté des États africains.
Plusieurs pays (Bénin, Côte d’Ivoire) restent attachés au CFA, tandis que d’autres comme le Mali ont amorcé une réflexion sur une monnaie nationale.
2.2. Sentiments Antifrançais : Une Montée des Contestations
Depuis les années 2010, un rejet croissant de la France s’observe dans plusieurs pays francophones :
Manifestations anti-françaises au Mali, Burkina Faso, Niger, accompagnées d’un rejet de la présence militaire.
Accusations d’ingérence politique et d’un soutien supposé à certaines élites corrompues.
L’influence de nouvelles puissances (Russie, Chine, Turquie) redessine les alliances traditionnelles.
2.3. Immigration et Réactions en France
La migration subsaharienne vers la France est devenue un sujet politique majeur, avec une perception souvent négative alimentant des tensions sociales et politiques.
En 2023, la France a adopté des restrictions accrues sur les visas pour les ressortissants africains, renforçant le malaise diplomatique.
III. L’Avènement de l’AES : Une Réorganisation Géopolitique en Cours
Les pays du Mali, Burkina Faso et Niger, regroupés sous l’Alliance des États du Sahel (AES), ont choisi de rompre avec la France, tant sur le plan militaire qu’économique.
Changement d’alliances avec un rapprochement fort vers la Russie (Wagner) et la Chine.
Recherche de nouveaux modèles économiques plus indépendants des institutions occidentales.
Réaffirmation de la souveraineté face à toute ingérence extérieure.
L’AES constitue un symbole fort du rejet des anciens schémas coloniaux, mais son succès dépendra de sa capacité à proposer une alternative économique et sécuritaire crédible.
IV. Solutions Concertées : Quel Avenir pour la Coopération France-Afrique ?
4.1. Redéfinir les Partenariats sur une Base d’Égalité
Réformer la coopération économique, en favorisant l’industrialisation locale et l’indépendance monétaire.
Développer des relations bilatérales sans interférence politique, en mettant fin aux accords jugés déséquilibrés.
4.2. Moderniser les Relations Sécuritaires
Plutôt qu’une présence militaire permanente, la France pourrait favoriser le renforcement des armées locales.
Développer une coopération en matière de renseignement et d’équipements, plutôt qu’une intervention directe.
4.3. Construire une Diplomatie de Proximité
Écouter et comprendre les aspirations africaines, au lieu d’imposer des modèles exogènes.
Développer un dialogue intercontinental équitable, où les pays francophones africains sont de véritables partenaires et non des dépendants.
Conclusion : Vers un Nouveau Chapitre des Relations Franco-Africaines ?
Les relations entre la France et les États francophones sont à un tournant historique. L’heure n’est plus à la coopération paternaliste, mais à un partenariat repensé sur la base du respect mutuel, de l’indépendance et du pragmatisme. L’émergence de l’AES et la diversification des alliances africaines montrent que les schémas du passé sont révolus.
Pour que la France conserve une place dans le nouvel échiquier africain, elle devra réinventer son approche, en abandonnant l’ingérence et en proposant des solutions adaptées aux réalités africaines. Le futur des relations franco-africaines se jouera dans la capacité des deux parties à co-construire une coopération renouvelée, acceptée par tous et fondée sur un respect réciproque.
Norbert KOBENAN