Amara Essy, né le 20 décembre 1944 à Bouaké et originaire de Kouassi-Datékro, fut bien plus qu’un haut fonctionnaire ivoirien : il fut une figure de la dignité africaine en diplomatie, un serviteur d’État au style sobre, à la parole mesurée, à l’élégance intellectuelle rare.
Formé en droit public à l’université de Poitiers, puis à la Carnegie Endowment for International Peace en Suisse, il s’inscrit d’emblée dans la lignée des bâtisseurs de l’État postcolonial. Dès les années 1970, ce jeune diplomate aux manières feutrées gravit les échelons : de chef des relations économiques à premier conseiller à Brasilia, puis conseiller à la mission permanente de la Côte d’Ivoire à l’ONU, jusqu’à devenir représentant permanent à Genève.
À New York, il deviendra en 1981 la voix posée d’une Côte d’Ivoire non-alignée, ouverte, résolument pacifique. En janvier 1990, il préside le Conseil de sécurité des Nations unies. Et en 1994, il entre dans l’Histoire en devenant le premier Africain noir francophone élu président de l’Assemblée générale de l’ONU. Ses discours étaient teintés d’humanisme, de gravité lucide, et de cette sagesse africaine héritée du vieux monde agni bini.
Ministre des Affaires étrangères de 1990 à 1999, il incarna une diplomatie ivoirienne discrète mais ferme, active dans la médiation des conflits africains. Il disait : « En diplomatie, le silence bien placé vaut mille discours. »
Essy Amara - Candidature à l'ONU
En 1996, la planète diplomatique fut secouée par le refus des États-Unis de renouveler le mandat de Boutros Boutros-Ghali à la tête de l’ONU. Ce veto inattendu ouvrit une compétition tendue pour sa succession. L’Afrique proposa plusieurs figures de proue. Parmi elles, Amara Essy.
Sa candidature fut soutenue par la Côte d’Ivoire et saluée pour son sérieux. Elle témoignait d’un diplomate estimé, réputé pour sa tempérance, sa connaissance des arcanes onusiennes et sa capacité à bâtir des ponts entre puissances et nations vulnérables.
Mais l’ombre d’un autre Africain planait : Kofi Annan, homme du sérail onusien, soutenu par Washington. Annan fut désigné, et Essy s’effaça avec dignité. Il déclara à un collègue : « Ce n’est pas l’ambition qui m’a guidé, mais le devoir de représenter une Afrique digne. »
Essy Amara et Houphouët-Boigny
Entre Amara Essy et Félix Houphouët-Boigny s’est nouée une relation fondée sur l’estime et la loyauté. Le Président, visionnaire mais discret, peu enclin aux déplacements, voyait en Amara Essy l’homme de confiance idéal pour porter la voix de la Côte d’Ivoire sur la scène internationale.
C’est Houphouët qui le propulse à Genève, puis à New York. C’est encore lui qui le nomme ministre des Affaires étrangères. Essy devient son émissaire, porteur de messages de paix, notamment dans les conflits au Liberia, au Tchad ou en Angola. Il était dit dans les cercles diplomatiques d’Abidjan : « Quand Essy parle, c’est la sagesse d’Houphouët qui voyage. »
Les deux hommes partageaient une vision : celle d’une Afrique fière, enracinée dans ses valeurs, mais tournée vers le monde, dialoguant avec tous, ne cédant jamais à la démagogie.
Diplomatie ivoirienne - Les leçons des années Essy
La décennie Essy fut celle d’une diplomatie ivoirienne ambitieuse, méthodique, résolument pacifique. Ministre de 1990 à 1999, il transforma le ministère des Affaires étrangères en maison de rigueur et de savoir-faire.
Quatre leçons majeures se dégagent :
1. La diplomatie est d’abord une écoute: il faut savoir entendre même ceux qui n’ont pas de voix.
2. La neutralité est une puissance: dans les conflits africains, la Côte d’Ivoire fut crédible parce qu’elle ne prenait pas parti, mais cherchait la paix.
3. L’Afrique doit parler d’une seule voix: il milita pour une intégration régionale plus forte, préparant le terrain pour l’Union africaine.
4. Le diplomate est un artisan de la paix: ni guerrier, ni tribun, mais bâtisseur d’équilibres.
Un jour, à un jeune diplomate qui l’interrogeait sur son secret, Essy répondit simplement : « Ne t’attarde pas à vouloir convaincre. Commence par comprendre. »
Essy Amara, le Diplomate
Être diplomate, ce n’est pas seulement porter un titre. C’est incarner une manière d’être au monde, un style de rapport aux autres, un art de servir sans chercher la lumière. En ce sens, Amara Essy fut un diplomate dans l’âme, dans la forme et dans le fond.
D’une voix posée, d’un verbe précis et toujours mesuré, il maniait la parole comme un artisan de la paix. Sa démarche n’était jamais de conquérir un auditoire, mais de convaincre sans heurter, de rapprocher les points de vue sans renier ses principes. « En diplomatie, disait-il souvent, on ne gagne pas en criant plus fort, mais en comprenant plus vite. »
Né à Bouaké, originaire de Kouassi-Datékro, de l'université d'Abidjan, formé à Poitiers, trempé dans les grandes écoles de la diplomatie mondiale, Amara Essy a été ce trait d’union entre l’Afrique des traditions et la scène internationale. À Genève, New York, Vienne ou Addis-Abeba, il portait l’identité ivoirienne avec sobriété, tout en embrassant la cause panafricaine avec conviction.
Sa vision du métier s’inscrivait dans une logique de service et non de posture. Pour lui, représenter un État n’était pas briller, c’était construire, rassurer, et apaiser. Cette philosophie, il l’a appliquée à chacune des étapes de sa carrière : représentant permanent à l’ONU, président du Conseil de sécurité, président de l’Assemblée générale de l’ONU, ministre des Affaires étrangères, secrétaire général de l’OUA, puis président intérimaire de la Commission de l’Union Africaine.
Mais ce que ses interlocuteurs retiennent surtout de lui, c’est sa constance. Dans un monde diplomatique souvent volatile, Essy restait fidèle à ses principes : respect des États, recherche de l’équilibre, humilité dans l’action. Il refusait les effets de manche et privilégiait les résultats silencieux.
Un ambassadeur africain dira de lui : « Amara Essy était une école. Une école de pondération, de finesse, et de dignité. » Et c’est sans doute cela, au fond, qui résume le mieux le diplomate : il était, pour l’Afrique, une conscience tranquille, un témoin vigilant, et un artisan du respect.
Norbert KOBENAN