Le 26 mars 2025, la Côte d’Ivoire a levé 1,75 milliard de dollars en eurobonds, 220 milliards FCFA (environ 335 millions d’euros) avec sa première émission internationale libellée en franc CFA, et 66 milliards FCFA sur le marché domestique. Le pays continue ainsi de diversifier ses sources de financement avec une stratégie d’emprunt dynamique. Cette émission historique, réalisée le 26 mars 2025, a été conclue à un taux de 6,875 % sur trois ans, avec un remboursement en euros, limitant ainsi le risque de change. Pour cette obligation en CFA sur le marché international, le ticket d’entrée a été fixé à 6,55 millions FCFA (environ 10 000 euros), bien en dessous des seuils habituels des eurobonds (100 000 à 200 000 dollars). Avec une valeur faciale de 655 000 FCFA, cette accessibilité a attiré un large éventail d’investisseurs dans un contexte de forte demande pour les obligations ivoiriennes en monnaie locale.
Dans cette interview réalisée par plusieurs médias ivoiriens, africains et internationaux, le professeur PRAO YAO SERAPHIN donne des détails sur cette opération, les avantages et risques afférents.
Avant d’aborder les levées de fonds de la Côte d’Ivoire, sur les marchés financiers, pouvez-vous nous donner la différence entre une obligation internationale, une obligation étrangère et une ou obligation domestique?
Notons déjà qu’une obligation est un titre de dette qui promet des paiements périodiques sur une durée déterminée. En clair, une obligation est un engagement contractuel par lequel l’emprunteur s’engage à payer au détenteur de l’obligation des versements déterminés à des intervalles fixés (les intérêts et le remboursement du principal) jusqu’à une certaine date appelée maturité, à laquelle le dernier versement est réalisé et la dette s’éteint. Par extension, on appelle maturité d’une dette le nombre d’années jusqu’à son expiration. On dit qu’une dette est à court terme si sa maturité est inférieure à un an, et qu’elle est à long terme si elle est supérieure ou égale à 10 ans. Entre les deux, on parle de dette à moyen terme.
Concernant l’obligation étrangère, il est l’instrument traditionnel du marché financier international. Une obligation étrangère est vendue dans un pays étranger et libellée dans la monnaie de ce pays. Par exemple, si la NSIA BANQUE, une société ivoirienne émet une obligation aux Etats-Unis libellée en dollars, elle sera considérée comme une obligation étrangère.
En ce qui concerne l’euro-obligation (ou obligation internationale), c’est un instrument plus récent du marché financier international comparativement à l’obligation étrangère. C’est une obligation libellée dans une monnaie différente de celle du pays où elle est vendue : par exemple une obligation libellée en dollars et émise à Abidjan.
Pour les obligations domestiques, ce sont des oobligations émises, par une entreprise ou une institution, de la nationalité du marché financier sur lesquelles elles sont émises. Des obligations françaises sur le marché financier de la bourse de Paris sont des obligations domestiques.
Pour ce qui est de l’obligation régionale, un pays comme la Côte d’Ivoire peut lancer une émission d’obligations de 100 milliards de Francs CFA à la bourse régionale. Ces obligations seront commercialisées auprès des investisseurs dans toute la zone monétaire CFA de l’Afrique de l’Ouest. On les distingue ainsi des deux autres catégories d’obligations que sont les obligations domestiques émises en monnaie locale et les obligations internationales émises en monnaie locale.
Quelles sont les raisons qui poussent les économies émergentes et les pays africains à privilégier les obligations internationales émises en monnaie locale?
Deux ensembles de facteurs susceptibles d’entrer en jeu se rapportent à la gestion du risque et au coût des emprunts. S’agissant de la gestion du risque, dans l’idéal l’emprunteur voudra faire coïncider la monnaie de paiement du principal et des intérêts avec celle des revenus nets qu’il attend pendant la durée de vie de l’obligation ; l’investisseur, lui, cherchera à faire correspondre le rendement de ses actifs à ses dépenses courantes et futures. On a remarqué que les entreprises américaines qui émettent des titres en devises possèdent également des revenus importants provenant de l’étranger ; en outre, en se couvrant contre le risque de change, elles sont plus à même de tirer parti des opportunités de croissance. Il est possible d’établir une forte corrélation positive, au niveau de l’entreprise, entre la possession de filiales dans la zone d’influence d’une monnaie et l’émission d’obligations dans cette monnaie. Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, on dira qu’il cherche à réduire le risque de change lié à son endettement en devises. En ce qui concerne le coût des emprunts, en partie le reflet de facteurs institutionnels, il est supporté à la fois par les émetteurs et les investisseurs. Le marché des obligations libellées dans une monnaie donnée peut être assujetti à des prélèvements fiscaux, ou à des contraintes réglementaires, ou être trop étroit pour fournir le niveau de liquidité recherché par des investisseurs actifs. Les très gros émetteurs peuvent être désireux de diversifier leurs sources de financement pour accéder en toutes circonstances au marché. Si tel est le cas, les emprunteurs émettront sur le marché au comptant, où les coûts institutionnels sont les plus bas, et feront appel aux swaps pour s’engager sur la monnaie de leur choix. Pour les emprunteurs des économies émergentes, l’étroitesse des marchés de la dette en monnaie locale constitue un problème reconnu ; comme, en outre, les marchés des swaps ont également tendance à être peu développés, les émetteurs sont souvent contraints de prendre des positions comportant une asymétrie de devises.
Quels sont les avantages pour les pays africains de recourir aux obligations internationales en monnaie locale?
D’abord, le marché obligataire est particulièrement important pour l’activité économique, parce qu’il permet aux entreprises ou aux gouvernements d’emprunter pour financer leurs activités, et parce que les taux d’intérêt y sont déterminés. Ensuite, les pays qui arrivent à vaincre ce « péché originel » augmentent leur visibilité sur les marchés internationaux. Mentionné pour la première fois par Eichengreen and Hausmann (1999), le terme de « péché originel » fait référence à l’incapacité d’un pays à émettre de la dette souveraine libellée dans sa propre monnaie sur les marchés financiers internationaux. Cette situation résulte de la réticence des investisseurs internationaux à détenir de la dette souveraine en monnaie locale, en raison du risque de change et de l’instabilité économique intérieure perçus. Au-delà de la Côte d’Ivoire, cette opération permettra d'accroître la visibilité du marché des capitaux de l'Union économique et monétaire ouest africaine, encore en développement. Enfin, une telle opération permet à la Côte d’Ivoire d’améliorer le profil de la dette du pays. Cette stratégie est dans la logique de la gestion proactive de la dette par les autorités ivoiriennes qui continuent d'améliorer le profil de la dette du pays et de contenir les risques liés à l'encours de la dette. D’ailleurs, l’’opération, d’un montant de 220 milliards FCFA (environ 335 millions d'euros), a été réalisée à un taux de 6,875 % sur trois ans, avec un remboursement prévu en euro, devise à laquelle le CFA est arrimé en parité fixe, ce qui atténue le risque de change. Ce taux est plus attractif que ceux obtenus sur le marché régional de l’UEMOA. La veille, sur le marché domestique (Umoa-Titres), la Côte d’Ivoire avait levé 66 milliards FCFA, dont une tranche à 7,63 % sur trois ans. Une semaine plus tôt, une autre émission à trois ans affichait un rendement de 7,64 %. Cela montre que les investisseurs internationaux offrent des conditions plus favorables que le marché régional, pourtant libellé dans la même devise.
Quels sont les facteurs permissibles du recours aux obligations internationales en monnaie locale?
Les principales conditions propices au développement du marché intérieur des titres publics sont les suivantes.
Premièrement, les conditions macroéconomiques générales bonnes
La solidité et la stabilité macroéconomiques constituent des conditions essentielles au recours aux obligations internationales en monnaie locale. En effet, un contexte macroéconomique stable cristallise la confiance des investisseurs, garantissant à ces derniers la préservation de la valeur de leurs titres de créance. Un historique de bons résultats macroéconomiques s’appuyant sur un cadre de politique macroéconomique crédible et un engagement global des autorités renforceront les attentes des investisseurs. Une gestion lacunaire de l’économie est souvent coûteuse, car les événements passés de nature très défavorables (crise de la dette souveraine, restructuration et/ou crises du secteur bancaire, par exemple) sont susceptibles d’entraîner des répercussions durables sur la confiance des investisseurs et freiner sensiblement l’attrait des obligations internationales en monnaie locale.
Deuxièmement, les besoins de financement de l’État
Les besoins de financement de l’État sont principalement à l’origine de l’émission de dette. Dans la plupart des pays, les besoins de financement de l’État déterminent le besoin d’emprunt, l’émission des obligations internationales en monnaie locale étant l’une des principales sources de ce financement. Toutefois, dans certains pays à faible revenu, qui ont accès à des dons ou à des emprunts concessionnels à long terme, l’émission d’une dette locale plus coûteuse pourrait ne pas être judicieuse, lorsque le risque de change ne constitue pas un motif de préoccupation.
Troisièmement, la structure de l’économie compte
La taille de l’économie et la base de l’épargne intérieure (notamment la présence d’institutions d’épargne contractuelle) auront une incidence sur la capacité d’absorption du marché obligataire. Dans les petits pays, il peut s’avérer difficile de développer un marché liquide. En outre, un faible taux d’épargne intérieur, même dans les pays plus développés, peut réduire la demande en faveur d’actifs financiers porteurs d’un intérêt, en particulier les titres d’État. De nombreux facteurs influent sur le niveau d’épargne d’un pays, notamment les fondamentaux macroéconomiques, la politique fiscale et les régimes de retraite. L’épargne intérieure peut également être affectée à de nombreux éléments en concurrence (les actifs d’infrastructure intérieurs, par exemple), et il convient de tenir compte du marché de ces autres actifs lors de l’évaluation de cet aspect de la structure de l’économie. Les émetteurs souverains de petite taille peuvent faire face à des difficultés en matière de consolidation des instruments et d’émission d’obligations de référence liquides. Ils peuvent également rencontrer des difficultés à mobiliser des volumes de fonds importants au moyen de la gestion de trésorerie et à constituer des volants de liquidité suffisamment élevés. Ils peuvent aussi présenter plus de vulnérabilité à des ratios de concentration élevés de titres de créance détenus par un petit nombre d’investisseurs. Il est plus aisé d’émettre des actifs libellés en monnaie locale dans un pays ayant un faible niveau de dollarisation ou d’euroïsation. La demande d’actifs libellés en monnaie locale dans le système financier serait plus forte si les dépôts en de vises (et les prêts) ne constituaient qu’une petite part de l’ensemble des dépôts (et des prêts) du système bancaire.
Quatrièmement, la situation des finances publiques et de l’endettement à considérer
La solidité des finances publiques et un endettement raisonnable favorisent le recours aux obligations internationales en monnaie locale. Un déficit budgétaire élevé peut placer la dette sur une trajectoire non viable, et les risques budgétaires liés aux passifs conditionnels peuvent aggraver les vulnérabilités en matière d’endettement. Les pays ayant des besoins de financement extérieur notables, un encours élevé de dette publique soumis à des risques de marché (risques de refixation des taux d’intérêt, de refinancement et de taux de change, par exemple) et une situation des finances publiques non viable sont susceptibles d’être plus fragiles. Le montant des besoins d’emprunt d’un État et le risque de surendettement influeront sur le volume du financement intérieur net que cet État sera en mesure d’obtenir sur les marchés, la stabilité de ce financement et la détermination du prix des instruments.
L’érosion de la confiance des investisseurs à l’égard des pays ayant des antécédents de défauts de paiement sur leur dette souveraine, notamment la conversion ou l’allongement forcé de la dette intérieure au moyen de mesures de répression financière, pourrait entraîner des répercussions sensibles sur les perspectives de développement des obligations internationales en monnaie locale. Une maîtrise budgétaire insuffisante peut amener les décideurs politiques à ne pas se conformer aux bonnes pratiques en matière d’emprunt fondées sur les marchés et nuire à la confiance des investisseurs. Ainsi, en cas de besoins de financement élevés ou de nécessité de contenir les coûts d’emprunt à court terme, les autorités peuvent choisir de contrôler les taux d’intérêt, d’accumuler des arriérés de paie ment, d’emprunter directement auprès de la banque centrale ou de recourir à des méthodes de placement en dehors des marchés.
En Côte d’Ivoire, les perspectives économiques solides du pays, la dynamique de réforme, la consolidation budgétaire en cours et les avantages de l'adhésion à l’UEMOA ont renforcé la confiance des investisseurs. L’agence de notation Standard & Poor's (S&P) prévoit que l'économie du premier producteur mondial de cacao connaîtra une croissance moyenne de 6,7 % sur la période 2025-2027. Le déficit budgétaire atteindra 3 % du produit intérieur brut en 2025, contre près de 7 % en 2022.
Cinquièmement, la solidité du secteur financier reste importante
Le secteur financier d’un pays doit être liquide et bien capitalisé, car il joue un rôle important en tant qu’investisseur et intermédiaire sur le marché de la dette de l’État. Le secteur bancaire représente une partie notable de la base d’investisseurs dans de nombreux pays, et il joue en général un rôle d’intermédiaire essentiel quand on a recours aux obligations internationales en monnaie locale. L’évaluation de la solidité du secteur financier porte généralement sur l’adéquation des fonds propres, la qualité des actifs, les résultats financiers et la liquidité. En cas de risques d’instabilité du secteur financier, le secteur bancaire rencontrerait des difficultés à jouer son rôle de façon efficace.
Sixièmement, les conditions monétaires et de change à surveiller
La stabilité de l’inflation, des taux d’intérêt et des taux de change réduit l’incertitude pour les investisseurs et favorise la demande de titres d’État négociables. Une instabilité excessive des taux d’intérêt et des tensions inflationnistes (qui peuvent également être imputables au manque de crédibilité de la politique monétaire) peuvent provoquer une hausse des rendements, car les investisseurs exigent une prime de risque du fait de l’absence de prévisibilité. Ces derniers considèrent le niveau trop élevé et instable des taux d’intérêt nominal et réel comme non viable, ce qui est susceptible d’entraîner des incertitudes sur la viabilité de la dette, d’éventuelles modifications du régime de change ou l’établissement de nouveaux dispositifs fiscaux ou de contrôle. Cette incertitude réduit l’incitation à investir sur les marchés financiers locaux et dans les actifs à long terme, car elle nuit à la rentabilité attendue. Des conditions monétaires stables permettent donc à un État d’émettre des titres d’emprunt à long terme moins onéreux et d’allonger l’échéance du portefeuille de la dette. Une forte volatilité du taux de change, qui s’accompagne d’un taux de transmission élevé, est le principal facteur dissuasif influant sur la confiance des investisseurs, tant nationaux qu’étrangers. Le contrôle du taux d’intérêt et les autres signes de répression financière sont souvent considérés comme des indicateurs de conditions monétaires et budgétaires sous-jacentes médiocres. En cas d’espace budgétaire limité et de coûts de financement élevés, l’État peut être tenté de recourir à ces pratiques.
En définitive, il faut avoir une croissance économique et des tendances fiscales favorables, une inflation maîtrisée et des niveaux élevés de taux d’intérêt réels, le tout s’ajoutant à un ratio dette brute/PIB nettement plus faible.
Quels sont les raisons ou avantages qui poussent les investisseurs à acheter des obligations internationales en monnaie locale?
Réponse : Il est possible d’énumérer au moins cinq raisons qui poussent les investisseurs étrangers à acheter des obligations internationales en monnaie locale.
La première raison est que les marchés émergents et africains seront incontournable dans le futur. Avec leur poids économique, les économies émergentes et africaines seront incontournables dans le futur. En effet, les marchés émergents en monnaie locale sont le marché incontournable de l'avenir, car ils associent de bonnes performances à une meilleure liquidité. Et bien que ce caractère inéluctable ne soit pas une garantie de bonne performance pour l'investisseur, il est temps d'y prêter un peu plus d'attention.
La seconde raison reste la solidité de leurs économies et leurs résiliences face aux crises. Les économies émergentes ont tiré les leçons des crises passées, ce qui a conduit à des politiques budgétaires plus disciplinées et à des politiques monétaires plus proactives. De nombreux pays ont adopté des régimes de taux de change flottants, ce qui leur confère une certaine souplesse face aux chocs extérieurs et améliore leur balance des paiements. Cela a permis une meilleure accumulation des réserves de change, et donc une plus grande flexibilité de leurs politiques monétaires. En outre, les économies des principaux pays émergents sont devenues de plus en plus robustes en se diversifiant et en ne dépendant plus d'un seul secteur ou d’un seul produit de base, en favorisant une croissance durable grâce à l'essor des secteurs des services et de la technologie. Les systèmes financiers ont été renforcés et les cadres réglementaires améliorés, ce qui a renforcé les secteurs bancaires et réduit leur vulnérabilité.
La troisième raison est la possibilité de diversification de leur portefeuille. La dette souveraine des marchés émergents en monnaie locale a tendance à offrir une multiplicité de profils puisque chaque pays émergent se trouve à un stade différent de son cycle monétaire et budgétaire. Ces pays ont non seulement des cycles économiques différents, certains ralentissant leur croissance tandis que d'autres l'accélèrent, mais ont aussi des moteurs économiques fondamentaux différents. Par exemple, certains pays sont exportateurs de matières premières et ont tendance à bien se comporter lorsque les prix des matières premières augmentent, tandis que d'autres pays sont importateurs de matières premières et pourraient en souffrir. Cette grande diversification interne se traduit par une volatilité parfois contre-intuitive. Un investissement sur ce marché est souvent moins volatil qu’un investissement dans les bons du Trésor américain pour un investisseur non basé sur le dollar américain. Les investisseurs peuvent ainsi tirer parti des écarts de rendement et de valeur observés sur les différents marchés. Et à mesure que les États chercheront à allonger leur courbe des taux, l’éventail d’opportunités d’investissement s’élargira. Aussi, les obligations émergentes en monnaie locale étant étroitement liées aux politiques budgétaires, monétaires et macroéconomiques de leur pays d’émission, elles peuvent être assorties d’un profil risque-rendement intéressant pour les investisseurs en quête de diversification du risque de change. Et avec l’allongement attendu des courbes de taux des obligations souveraines en monnaie locale, le positionnement en duration et le positionnement sur la courbe des taux deviendront également sources de rendement attrayantes.
La forte diversification externe permet au marché de compléter d'autres actifs sur n'importe quel horizon d'investissement grâce à sa décorrélation. La plupart des portefeuilles afficheront des mesures de risque de volatilité plus faible après l'inclusion du marché. Cependant, contrairement à de nombreuses couvertures, les investisseurs n'ont pas à payer pour réduire le risque de leur portefeuille. Ils sont, au contraire, généreusement payés pour cela.
Par ailleurs, les marchés obligataires en monnaie locale présentent une corrélation limitée avec d’autres classes d’actifs, telles que les actions, les matières premières ou les obligations des marchés développés, ce qui peut contribuer à réduire la volatilité et à améliorer les résultats corrigés du risque au sein du portefeuille.
La quatrième raison est la plus grande variété d’instruments de dette offerte. En effet, si les marchés obligataires en monnaie forte offrent un éventail élargi d’opportunités d’investissement parmi les obligations d’entreprise et les emprunts d’État, c’est dans les marchés obligataires en monnaie locale que les investisseurs peuvent trouver la plus grande variété d’instruments obligataires et d’outils de couverture alternatifs : les obligations classiques, les obligations indexées sur l’inflation et leurs dérivés, la dette avec option de change, les warrants indexés sur le PIB, les instruments du marché monétaire, etc. Autant d’outils qui permettent de diversifier les portefeuilles et de réduire les risques. Les obligations indexées sur l’inflation, qui connaissent un essor particulièrement rapide actuellement, sont des investissements intéressants pour deux raisons principales : elles constituent un moyen efficace et économique de se prémunir contre les poussées inflationnistes, souvent plus prononcées dans les économies émergentes, et elles peuvent aider à atténuer les effets d’une dépréciation de la monnaie locale induite par l’inflation.
La cinquième raison est le potentiel de rendement supérieur. En effet, compte tenu des écarts de croissance et de taux d’intérêt observés entre les différents marchés émergents, mais aussi du fait du potentiel d’appréciation des devises émergentes, les obligations des marchés émergents en monnaie locale peuvent générer un rendement supérieur à celui de leurs homologues libellées en monnaie forte. Et les deux affichent généralement un écart marqué avec les obligations du marché américain. À mesure que les taux d'intérêt mondiaux sans risque diminueront et cesseront d'être un investissement attractif, toutes les sous-classes d'actifs de la dette émergente devraient bénéficier de la baisse des taux d'intérêt mondiaux grâce à des coûts de financements moins élevés et une attractivité relative accrue face aux alternatives des marchés développés. Les hauts rendements des taux d'intérêt sans risque ont entraîné un certain désintérêt pour les marchés émergents au cours des trois dernières années. En effet, la forte inflation mondiale de 2022 a conduit les banques centrales des marchés développés à relever leurs taux à des niveaux encore jamais atteints depuis des décennies. En conséquence, les investisseurs étrangers n'ont pas jugé pertinent de prendre davantage de risques en déployant leurs capitaux sur les marchés émergents pour obtenir des rendements satisfaisants. Mais la Fed et les autres banques centrales des pays développés s’étant désormais engagées dans un cycle de baisse de taux, les rendements sans risque perdent peu à peu leur intérêt, ce qui pousse de fait les investisseurs obligataires à accroître leur exposition au risque pour retrouver des rendements intéressants, comme l’achat d’obligation internationale en franc CFA. D’ailleurs, dès que les obligations des pays émergents commenceront à recevoir des flux de capitaux, phénomène déjà perceptible sur les dernières semaines de septembre, les primes de risque devraient se contracter. Cela stimulera les prix des obligations et facilitera les conditions de financement pour les pays.
Quels sont les risques associés à ces investissements en obligations internationales en monnaie locale?
Il faut savoir qu’investir dans les obligations des marchés émergents (EM) en devise locale implique des risques significatifs, y compris, mais sans s’y limiter, les fluctuations de change, l’instabilité géopolitique et les incertitudes économiques. Bien que la classe d’actifs puisse offrir des opportunités attrayantes, les investisseurs doivent être conscients que les performances passées ne sont pas indicatives des résultats futurs. La valeur des investissements et les revenus qui en découlent peuvent fluctuer et les investisseurs peuvent ne pas récupérer l’intégralité du montant investi. Ce matériel est fourni à titre d’information uniquement et ne constitue pas un conseil en investissement ou une offre d’achat ou de vente de titres. Les investisseurs doivent tenir compte de leurs objectifs d’investissement individuels et de leur tolérance au risque avant de prendre des décisions d’investissement.
Quels sont les risques auxquels s’exposent les pays africains qui émettent des obligations internationales en monnaie locale?
Réponse : Les pays africains qui se financent par le biais des obligations internationales en monnaie locale ne sont pas à l’abri des risques.
En premier lieu, ce qu’ils cherchent à éviter peu resurgir dans le futur. En effet, la fin du péché originel – tel qu’il est défini historiquement – signifie que les investisseurs internationaux supportent à présent un risque de change plus important et une plus grande asymétrie des devises. Ce risque de change supporté par ces investisseurs accroît la volatilité des flux de capitaux, entraînant un « retour du péché originel ».
Ce retour peut être associé aux évolutions du cycle financier mondial. L’évolution des obligations souveraines détenues par des investisseurs internationaux est liée au niveau du risque financier mondial exprimé par la volatilité financière mondiale. Le plus souvent la détention de ces obligations tend à diminuer lorsque le risque financier mondial dépasse son niveau moyen au cours de la période, reflétant le biais domestique dans la perception du risque par les investisseurs (c’est-à-dire le repli des investissements internationaux durant les épisodes de tensions financières au niveau mondial). Ces situations sont notamment advenues au cours de la crise financière mondiale de 2008-2009, de la crise de la dette souveraine de la zone euro fin 2011, de la période ayant précédé le vote sur le Brexit en 2015, de la crise de la Covid-19 en 2020 et enfin depuis la normalisation de la politique monétaire américaine de 2022. On montre que la corrélation négative entre les variations des obligations souveraines détenues par des investisseurs internationaux et le niveau du risque financier mondial est plus faible lorsque les obligations sont libellées en devises étrangères plutôt qu’en monnaie locale. Dans la mesure où les investisseurs internationaux détenant des obligations souveraines en devises étrangères ne supportent pas le risque de change, ils sont moins sensibles aux évolutions du risque financier mondial et plus enclins à conserver leurs expositions aux économies de marchés émergents en cas de tensions financières mondiales.
En second lieu, on enregistre une volatilité des flux de capitaux et des sorties brutales de capitaux peuvent être observées quand les conditions financières mondiales se durcissent. Ce fût le cas au début de la normalisation de la politique monétaire américaine en 2022. Les investisseurs étrangers qui détenaient de la dette des économies de marchés émergents en monnaie locale ont enregistré des pertes liées à la fois à la hausse des spreads souverains et à la dépréciation des monnaies des économies de marchés émergents qui se produit quand ces spreads s’élargissent. Les moins-values liées aux fluctuations des devises sont amplifiées quand les portefeuilles des investisseurs internationaux sont composés d’obligations avec des maturités de plus long terme. Le risque de change est associé à un risque de duration. Pour ces investisseurs – principalement des fonds communs de placement – l’incitation à se désengager des économies de marchés émergents joue un rôle majeur dans les sorties de capitaux enregistrées par ces économies, accentuant le risque d’un retour du péché originel.
La phase récente de taux d’intérêt « élevés longtemps » (high for long) dans les principales économies a ravivé le débat sur le péché originel et la vulnérabilité des économies de marchés émergents aux chocs financiers externes. Si l’intervention sur le marché des changes et l’élargissement de la base d’investisseurs domestiques peuvent contribuer à réduire cette vulnérabilité, ils ne permettent pas de l’éliminer. Un pays qui dépend fortement des investisseurs internationaux est toujours exposés à d’éventuelles sorties brutales de capitaux, en particulier si les titres sont libellés en monnaie locale et assortis d’une maturité longue.
Quel est votre sentiment sur la propension de la Côte d’Ivoire à aller sur les marchés financiers pour son financement ?
Le pays doit modérer son endettement extérieur et son recours aux marchés financiers pour chercher à mobiliser des ressources propres. En effet, la Côte d’Ivoire doit agir avec prudence sur les marchés financiers internationaux car non seulement les notes des agences sont constamment contestées, mais leur bonne appréciation peut conduire le pays vers un recours dangereux aux financement étrangers massifs qui risque d’aggraver le risque de surendettement. Rappelons que la Côte d’Ivoire fait partie des pays d’Afrique subsaharienne ayant accès aux marchés internationaux. Elle a été le premier pays du sous-continent à revenir sur les marchés internationaux après le resserrement des conditions financière de 2022, avec l’émission d’un double eurobond en janvier 2024 pour un total de 2,6 Mds USD à des conditions financières relativement attractives (taux d’intérêt moyen de 6,61% au terme de l’opération de couverture de change dollar-euro). La Côte d’Ivoire a profité de cette levée sur le marché international pour procéder à un reprofilage de sa dette en particulier sur les maturités courtes. L'opération a généré une économie cumulée sur le service de la dette de 2,3 points de PIB entre 2024 et 2032, avec un pic de 0,9 points du PIB en 2025. Le pays reste très vulnérable aux chocs externes, sur les exportations notamment, et dispose d’un espace budgétaire limité pour y faire face.
Depuis janvier 2025, la Côte d’Ivoire a mobilisé plus de 1 500 milliards FCFA sur le marché régional, représentant plus de la moitié des émissions souveraines de l’UEMOA. Elle a également restructuré une partie de sa dette, remplaçant des obligations arrivant à échéance en 2025 par de nouveaux titres à 6 et 7 ans pour un total de 450 milliards FCFA.
Cette stratégie vise à faire face à des remboursements estimés à 5 635 milliards FCFA (9,2 milliards de dollars) en 2025, dont plus de 2 000 milliards FCFA pour les emprunts obligataires et les bons du Trésor. Dans ce contexte électoral, Abidjan prévoit encore d’emprunter plus de 1 100 milliards FCFA au deuxième trimestre sur le marché régional.
Le climat financier reste stable pour le pays. L’agence de notation Fitch a récemment confirmé la note souveraine de la Côte d’Ivoire avec une perspective stable. Classée en catégorie 5 sur l’échelle de risque de l’OCDE, elle bénéficie toujours d’un accès aux financements internationaux avec des conditions relativement favorables.
En Côte d’Ivoire, des défis demeurent, notamment la résilience face aux futurs chocs externes, la faiblesse des institutions et de la gouvernance, bien qu'en voie d'amélioration, restent également une contrainte sur la note de crédit à long terme. La lutte contre la pauvreté reste également une priorité pour consolider les acquis économiques et assurer le développement inclusif et durable. Par ailleurs, la Côte d'Ivoire est aussi sensible aux risques politiques, bien que la situation se soit nettement améliorée ces dernières années.
Pour finir, je voudrais terminer par la citation de Jacques Attali qui disait et je cite : « L’endettement est un bon serviteur mais un mauvais maître ».
Bamba M. avec Sercom