Une nation sur le pont de l’Afrique
La Côte d’Ivoire est cette passerelle suspendue entre plusieurs mondes. Pont entre l’Afrique de l’Ouest et le reste du continent, entre les puissances traditionnelles et les émergents, entre les logiques de coopération et les instincts de puissance.
Le rapport Risque Pays 2025 nous livre une réalité simple mais puissante : le positionnement géostratégique ivoirien est une force, mais aussi une pression. Il confère au pays une centralité régionale enviée, mais le soumet à des équilibres instables, à des logiques d’alignement, et à des jeux d’influence qui exigent finesse, fermeté et vision.
Une diplomatie de stabilité au cœur de l’UEMOA et de la CEDEAO
Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire s’est imposée comme un pilier de la stabilité monétaire et politique dans l’espace UEMOA. Elle porte près de 40 % du PIB régional, sert de siège à de nombreuses institutions, et agit comme pôle attractif pour les investissements internationaux.
Elle est aussi l’un des leviers majeurs de la CEDEAO dans les initiatives de paix, de lutte contre le terrorisme au Sahel et de défense des transitions démocratiques.
Image : La Côte d’Ivoire est cette colonne vertébrale qui, si elle venait à fléchir, ferait chanceler toute la région.
Mais cette centralité impose un devoir de lucidité : être le centre, c’est aussi être la cible. Et les instabilités sous-régionales (Burkina Faso, Mali, Niger, Guinée) exigent une vigilance géopolitique accrue.
Entre héritage français, partenariats multiformes et appétits nouveaux
La présence française, traditionnelle et encore dominante, continue de structurer une large partie de la coopération économique et sécuritaire. Le franc CFA, la base militaire de Port-Bouët, les grands groupes (Bouygues, Bolloré, Orange) incarnent cette continuité.
Mais la Côte d’Ivoire, dans un monde multipolaire, ne peut rester enfermée dans une seule matrice. Elle commence à diversifier : partenariats stratégiques avec la Chine, la Turquie, le Maroc, les Émirats…
Sagesse : « L’arbre qui veut grandir doit accepter l’ombre de plusieurs soleils. »
Le défi ? Ne pas se vendre à tous les vents. S’ouvrir, sans se diluer. Équilibrer sans se soumettre.
La tentation d’un leadership régional assumé, mais fragile
Le rapport pointe une ambition claire : Abidjan veut redevenir le hub diplomatique, économique, culturel et militaire de l’Afrique de l’Ouest francophone. L’influence ivoirienne est réelle — dans les couloirs de la BCEAO, au sein de la BAD, à l’ONU, dans les réseaux de médiation continentale.
Mais ce leadership reste fragile s’il n’est pas adossé à un modèle intérieur crédible :
- des institutions fortes et stables;
- un tissu économique robuste et équitable;
- une démocratie irréprochable.
Image : Un roi respecté à l’extérieur ne peut durer s’il est contesté dans sa propre cour.
Les nouveaux risques : tensions sécuritaires transfrontalières, compétition d’influence, cybersécurité
L’environnement sous-régional est devenu volcanique :
- le terrorisme ne s’arrête plus aux frontières sahéliennes;
- les flux migratoires et trafics alimentent une instabilité diffuse;
- la guerre informationnelle (désinformation, cybersabotage) est la nouvelle arme silencieuse.
Le rapport appelle à renforcer la coordination sécuritaire, le renseignement, la cyberdéfense, et à anticiper les mutations géopolitiques (montée des BRICS, défiance vis-à-vis des anciens partenaires).
Recommandations pour une diplomatie souveraine et pragmatique
Consolider la voix ivoirienne dans les cercles régionaux et multilatéraux : non par posture, mais par propositions concrètes.
Institutionnaliser une diplomatie économique agile : allier attractivité, souveraineté, et valorisation des intérêts nationaux.
Former une élite diplomatique nouvelle : polyglotte, formée aux enjeux stratégiques, et consciente des fractures du monde.
Adopter une stratégie de “non-alignement éclairé” : coopérer avec tous, sans appartenir à personne.
La Côte d’Ivoire, ni satellite ni sanctuaire — mais sentinelle
La place de la Côte d’Ivoire sur l’échiquier ouest-africain n’est ni un hasard, ni un privilège : c’est une mission. Une responsabilité. Un défi permanent.
> “Le tam-tam du chef porte loin, mais c’est dans la manière de le frapper qu’on reconnaît sa sagesse.”
2025 doit être l’année où la diplomatie ivoirienne passera du réflexe à la stratégie, de l’influence subie à l’influence choisie.
Qu’Abidjan continue d’éclairer la région, non par ses tours vitrées, mais par la cohérence entre ses ambitions, ses valeurs, et son agir.
Par Norbert KOBENAN